Vers un urbanisme
performatif
Nous sommes entrés dans la recherche avec une intuition profonde autour de l’idée d’un « phénomène performatif », que nous ne savions pas expliquer. La thèse a outrepassé ces intuitions pour construire les fondements d’un performative turn dans les pratiques de transformation de la ville. Afin de dépasser le trouble autour de ce phénomène, nous avons vu qu’il était essentiel de distinguer le « médium » de la performance, d’un certain « concept » de la performance, mais aussi qu’il était possible de percevoir de la « performativité » en toute chose. Nous avons vu que cette performativité est sujette à la métamorphose, qu’elle s’en nourrit, et que son mode opératoire est toujours la déconstruction, l’hybridation et la recomposition des milieux qu’elle investit. Nous avons démontré que ces « milieux » sont à la fois « théoriques », puisqu’ils composent les Performance Studies – et le Performative Turn dans le monde des idées, mais qu’ils sont aussi réels et pratiques, puisque le performatif incarne, selon Richard Schechner, un prisme théorique permettant d’analyser toutes les « activités humaines ». En effet la performance serait en réalité une notion très inclusive de l’action et la Performance Theory qui lui est associée, serait fondée sur le concept de l’action et de l’interaction de toutes les choses et les événements du monde. Notre thèse a resserré ce champ très ouvert des « activités humaines » pour se concentrer sur les activités de « création » et de « transformation » de l’architecture, de la ville et du paysage.
Trois axes d’investigation
Pour investiguer ce resserrement, nous avons définis trois axes à partir desquels nous avons pu déconstruire, hybrider et recomposer des pratiques de création et de transformation performative de la ville. Nous avons ainsi investigué et poursuivi les effets des « émergences transformatrices », des « indisciplinarités performatives » et de la « performativité des temps ». Le premier axe nous a permis de construire les agentivités performatives sur lesquels nous allons revenir plus en détail. À l’aide du second axe, nous avons pu comprendre que le performatif se refuse à toute sectorisation ou stabilisation, qu’il est indisciplinaire et liquide par essence, qu’il se réinvente dans le milieu et « au milieu » : là où demeure l’invention et le renouvellement du monde, et pour notre thèse, des pratiques de création. Enfin, nous avons démontré que le performatif use du temps comme d’un « agent de transformation » à part entière et que son élément est le processus. C’est à l’aide de ces trois axes de définition du performatif que nous avons pu construire à la fois les « protocoles », les « dispositifs » et les « processus » performatifs qui se trouvent au cœur de la réinvention des pratiques de transformation de la ville à partir du performative turn. Par conséquent, nous avons également compris que le performatif est foncièrement transgressif, mais que ses fins sont toujours positives : le trouble qu’il génère partout où il passe ne vise qu’à réarticuler les choses du monde pour en améliorer le fonctionnement. Il cherche, dans le fond, à fluidifier l’entremêlement des événements qui le composent et le transforment à la fois et en permanence ; justement pour le rendre plus « performatif ».
Puissances d’agir
Dans un premier temps, nous avons démontré que le performatif est une pratique d’émergences transformatrices : il se manifeste au travers des corps en actions. En effet, le performatif est « incarné » ou il n’est pas, de la même manière qu’il ne peut exister sans être « situé ». Toute performance est le résultat du simple fait « d’être », de « faire » et de « montrer ce faire », et c’est dans ce processus de monstration qu’émerge le « style » de la performance. En revanche, nous avons aussi vu que celui-ci n’a pas besoin d’être artistique et spectaculaire, il a simplement besoin d’être conscient. C’est alors dans ce phénomène que le performatif advient, dans la conjoncture d’un corps, d’une action, et d’un espace-temps – et cette conjoncture possède le pouvoir de générer et de transformer simultanément toutes les « situations », qu’elles soient ainsi quotidiennes ou exceptionnelles. En ce sens toute action consciente, incarnée et située est un acte de transformation, et ces « effets » de transformations proviennent de « puissances performatives » qui nous sont propres. En effet, dans la mesure où tous les êtres humains possèdent un corps, ils possèdent nécessairement l’ensemble du faisceau des « puissances d’agir » que nous avons défini dans la thèse.
Ainsi, tout corps performatif est en capacité d’exécuter une action, mais aussi de transgresser sa réalité, pour s’extraire des « fictions régulatrices » du monde. Selon Judith Butler, nos corps, nos identités et nos actions sont impactées par les normes transcendantales de la société et il nous faut réapprendre à les questionner, pour nous réapproprier à la fois nos corps, mais aussi nos comportements au quotidien. Ces normes, qu’il nous faudrait donc apprendre à percevoir comme « fictions régulatrices » sont infiltrées partout dans la société. Nous avons démontré qu’elles sont également omniprésentes dans la ville, voire dans nos pratiques de création de celle-ci : elles conditionnent nos manières de la percevoir et de la concevoir, de la vivre et de se l’approprier créativement. Le performatif incarne ainsi, par essence, un outil d’éveil sur le monde – et sur toutes les choses qui n’y tournent plus rond. Chaque être « éveillé » possède alors la puissance de sensibilisation et de fédération. En effet, généralement, il suffit d’être témoin d’une action « inhabituelle » pour être « sorti » du cadre, pour ouvrir une brèche introspective sur notre condition – et pour se sentir capable, éventuellement, de joindre le mouvement. Comme nous l’avons vu, l’éveil des uns éveille celui des autres et la puissance ultime de cette première catégorie de puissances d’agir est la ritualisation. Elle intervient quand suffisamment de personnes ont rejoint le mouvement, et que celui-ci a généré un nouveau « rituel collectif » ; celui-ci augmente alors déjà toutes les puissances précédentes. Nous l’avons vu, les rituels urbains façonnent la ville et font tenir ensemble ses habitants : ils incarnent déjà une action de transformation ambivalente de l’urbain : éphémère dans son apparition, mais pérenne dans ses fondements. C’est en ce sens que le performatif contribue à « faire tenir ensemble », et nous avons vu que cette faculté pouvait permettre de déplier de nouvelles « pratiques d’initialités » pour la création et la transformation de la ville – et notamment au regard de la participation citoyenne.
Nous avons également vu que toute action performative possède la puissance d’actualisation, puisqu’elle génère et transforme simultanément les « situations ». Selon Sophie Wolfrum, l’architecture émergerait même « en tant qu’architecture » seulement au moment où elle se trouve investie par un ou plusieurs corps en action. Ainsi, en « actualisant » constamment les espaces de l’architecture, mais aussi de la ville, l’utilisateur-performeur participerait à rendre le virtuel, actuel. C’est le principe même de l’actualisation, qui permet de « débloquer » des potentialités qui préexisteraient à l’état virtuel, de manière latente, mais qui ne seraient rendues visibles et intelligibles qu’au moment de leurs émergences, c’est à dire à travers l’action performative « d’adaptation » de l’environnement. Et nos milieux possèderaient en réalité une multitude de possibilités d’actions et d’interactions dissimulées ! C’est ce que James J. Gibson nomme « affordances », et nous avons démontré qu’elles pouvaient incarner de précieuses informations pour penser et concevoir le design et la programmation des espaces de l’architecture et de la ville. En effet, nous avons vu que le performatif pouvait permettre de rendre visibles ces affordances dissimulées, à travers toutes les variations de puissances performatives de « révélation » que nous possédons aussi, intrinsèquement. Ainsi, nous sommes tou.te.s en capacité de détournement des espaces et des objets qui nous entourent, et ceci est un principe créatif-performatif qui permet de faire émerger fortement les affordances dissimulées, comme nous avons pu le voir. À travers ce procédé de détournement, on active en réalité une autre puissance performative : notre capacité à libérer des imaginaires, et même à « libérer » tout court, comme nous l’avons vu avec le premier groupe de puissance d’agir. C’est à partir de cette libération des imaginaires qu’adviennent des hypothèses de re-programmation ou de re-design. Et c’est là qu’intervient toute l’ambivalence performative ! En effet, nous avons vu que l’action performative pouvait incarner un mode pragmatique d’enquête sur les affordances, dans une modalité hybridée de l’action et de la réflexion – en situation. Cependant, nous avons également compris que cette en-quête d’affordances est immanente, c’est-à-dire qu’elle nous apparaît et nous informe d’abord « intérieurement » de ces autres formes de réalités potentielles, au moment de l’expérimentation, dans le creux de l’expérience personnelle. Or, et c’est là toute l’ambivalence, l’action performative explore et représente simultanément ces réalités potentielles. C’est ainsi qu’elle permet de communiquer à d’autres que soi ces autres possibilités d’actions, ces autres potentialités spatiales « dissimulées ». Cette ambivalence définit ainsi la puissance de représentation, et celle-ci fait l’articulation avec la première catégorie de puissances d’agir performative.
Protocoles de performativité « pure »,
Dispositifs de performativité « augmentée »
Étant donné notre ancrage dans le pragmatisme, nous ne pouvions rester à la seule description des phénomènes performatifs. Il nous fallait ainsi développer, en théorie et en pratique, les synergies créatives à l’oeuvre entre le performatif et l’affordance, afin de pouvoir déconstruire la linéarité problématique des processus créatifs, hybrider ses étapes fragmentées – et recomposer des pratiques « performatives » d’initialités pour la création. C’est la genèse des « protocoles performatifs » et nous avons vu qu’ils nous permettent d’instrumentaliser, pour notre propre compte, nos puissances d’agir fondamentales dans le but de pouvoir les adresser à nos enjeux de transformation de la ville. Nous avons également établi la distinction entre performativité « pure » et performativité « augmentée ». Les « protocoles performatifs » usent de la première, tandis que les « dispositifs performatifs » augmentent les puissances de la première par la seconde. En effet, comme nous l’avons dit, la puissance de représentation permet de communiquer à d’autres que soi, l’immanence des émergences performatives. Or, cette puissance de représentation peut s’avérer limitée par le seul usage d’un corps « nu », et nous avons aussi vu que plusieurs corps amènent déjà une certaine puissance d’augmentation, comme nous l’avons dit avec la ritualisation. Cependant, pour rencontrer les enjeux de la transformation architecturale, urbaine et paysagère de manière plus concrète, il nous faut « augmenter » encore davantage l’ensemble de nos puissances d’agir, y compris celle de la représentation, par l’usage des « dispositifs performatifs ». Nous avons vu les différents vecteurs et puissances d’augmentation du performatif, que l’on a pu conduire à partir de l’histoire des transferts créatifs entre la performance et l’installation. C’est à l’aide de ses derniers que l’on peut basculer dans la transformation concrète des espaces, pour préfigurer des usages et des spatialités que tout le monde peut expérimenter, dans son « immanence » propre. Ainsi, les émergences issues des « protocoles performatifs » sont traduites dans les « dispositifs performatifs » et reproduisent les transferts créatifs théorisés par Allan Kaprow entre la performance et l’installation.
Et nous avons vu qu’au regard de nos enjeux de transformation des « ressources urbaines latentes », nous souhaitions penser et concevoir ces « dispositifs performatifs » comme des interfaces de régénération. L’idée qui y est centrale, c’est alors que ces dispositifs, que l’on a requalifiés en S.E.T.s dans nos pratiques, deviennent des générateurs d’actualisations. Ils transfèrent ainsi les puissances d’agir performatives à partir desquels ils ont été conçus aux utilisateurs, les transformant par la manœuvre en performeurs à part entière. Ils deviennent ainsi à leur tour, par le seul fait d’utiliser les dispositifs, des agents de la transformation. Ainsi, toute personne qui use du dispositif participe de régénérer les « situations spatiales », ce qui s’avère être, dans le cas d’une production obsolète, un processus de « préfiguration » collective et performative des transformations à venir. Par ce processus de « transferts des puissances » et d’amplification des « effets » de transformation à partir des dispositifs, il nous est alors possible d’user, en tant que concepteur, des puissances de « formation de la réalité », « d’intensification et d’augmentation des possibles », mais aussi « d’adaptation, de transformation » et de « régénération ». Deux choses sont alors capitales à comprendre ici. D’une part, cela nous a permis de définir davantage ce qu’est une « spatialité performative » et comment nous pouvons la produire ; d’autre part, nous avons pu construire l’idée que ces pratiques pouvaient permettre de repenser en profondeur les modalités et les processus « normatifs » de l’urbanisme transitoire.
Spatialités performatives
Un espace performatif serait alors en premier lieu un espace « encapacitant ». Autrement dit, un espace qui émancipe les êtres et les comportements, qui ne figent pas trop les possibilités dans une palette de fonctions et de spatialités pré-formatées, qui accueille l’imprévu et lui offre la possibilité de générer de nouvelles opportunités. C’est alors un espace fondé sur l’ambiguïté et l’ambivalence, qui transforme l’utilisateur autant qu’il est transformé par lui. En ce sens, il posséderait à la fois des « puissances actives » et des « puissances passives », comme nous l’avons vu avec Didier Debaise. Nous avons vu aussi que l’espace – et par extension le projet performatif – rencontre de manière créative les enjeux et nécessités contemporaines de la réversibilité et de l’adaptabilité de nos productions, pour faire face, de manière plus résiliente, aux changements et aux aléas qui rythment de plus en plus nos existences.
Urbanisme transitoire VS « processus performatif »
Ces idées et pratiques performatives percutent également de plein fouet la standardisation et la disparition du subversif qui contribuent aujourd’hui à maintenir l’urbanisme transitoire dans une parenthèse docile. Nous avons vu qu’en usant du performatif pour renouveler les esthétiques et les usages de ces pratiques, nous pouvons être en capacité de réimporter les puissances de subversion définies par Luca Pattaroni. Or, nous avons vu que pour « faire place » à l’urbanisme – transitoire – performatif, il nous fallait aussi repenser en profondeur les cadres d’émergences et les processus urbains dans lesquelles ces pratiques sont intercalées. C’est à l’aide de la liminalité performative de Victor Turner que nous avons pu repenser en théorie le concept de transition au cœur de ces processus de transformation urbaine, afin encore une fois, de déconstruire, hybrider et recomposer les pratiques pour faire émerger la possibilité des « processus performatifs ». La vocation de ces processus performatifs est alors comme toujours de troubler pour mieux réarticuler, en synergie, les « efforts » et « effets » de transformation de l’éphémère, du transitoire et du pérenne dans des nouveaux modèles opérationnels, que nous avons imaginés de manière spéculative. Ces derniers bousculeraient alors en profondeur l’ensemble de la chaine linéaire et fragmentée des processus de création et de transformation de la ville et feraient émerger un nouveau métier d’assistance à maitrise d’ouvrage : l’opérateur de partitions processuelles performatives !
Troubles dans la pérennité
En partant d’Allan Kaprow pour aller jusqu’à Michael Heizer, nous avons également progressivement instauré une forme d’indiscipline entre art et urbanisme, pour générer les « extensions » du domaine de l’installation décrite et rencontrer les formes, les dimensions et les enjeux de l’architecture, de l’urbanisme et du paysage. Par ces « principes d’augmentations » graduels, nous avons également défini les gradations « d’efforts » et « d’effets » de transformation cités précédemment – dans des spatialités, mais aussi donc dans des « temporalités d’activités » différentiées. Par la manœuvre, nous avons prouvé que les efforts de l’éphémère, du transitoire et du pérenne n’étaient pas si différents, et qu’il fallait les percevoir comme étant fait du même bois. En effet, encore une fois, toute « activité humaine » peut être considérée comme « performative » et produit en conséquence des « effets » de transformation. Cela rejoint encore une fois Didier Debaise et sa différence entre les puissances actives et les puissances passives : l’action performative des corps représenterait davantage la catégorie « active », tandis que les affordances de l’environnement pourraient être rangées du côté de la « passivité » – et les espaces performatifs seraient quant à eux pétris des deux à la fois, comme nous venons de le dire. Nous l’avons vu avec Gibson, les affordances sont invariantes, elles demeurent, qu’on les perçoive ou non. L’environnement possède ainsi la puissance passive d’être transformé, à partir de ses affordances propres, ou d’être transformé justement pour voir ses affordances modifiées ; dans tous les cas, il « absorbe » les changements et se transforme pour s’y adapter. Il possède alors la puissance de s’adapter aux changements, tandis que nous possédons la puissance de « produire » ces changements. Le monde n’est en réalité fait que d’interactions et de transformations entre « puissances actives » et « puissances passives », et cela bien au-delà de nos existences. Ainsi, il faudrait percevoir toutes les choses et les événements du monde comme inscrits dans cette même « activité performative » : ils adviennent, perdurent un temps, puis se transforment ou disparaissent. Seule la durée de « l’activité » diffère, du plus éphémère au plus pérenne. Nous l’avons vu, la ville n’est qu’un flux constant de ces actualisations, de ces transformations et il est temps de cesser d’opposer ces forces transformatrices, peu importe la durée de leur « activité », pour les penser en synergie – et c’est tout l’objectif des processus performatifs et des partitions qui les guident. L’éphémérité d’une transformation n’est alors en ce sens pas moins noble que la permanence, elle en serait en réalité probablement plus précieuse, car c’est elle qui permet justement au monde de se renouveler en permanence. Les puissances de l’éphémère sont alors intrinsèques à l’existence de tout vivant ; seul l’humain cherche à tout prix à inscrire sa marque et sa puissance de manière permanente sur la terre.
L’urbanisme performatif chercherait alors simplement à réancrer la ville dans la phénoménologie du monde et dans l’instantanéité du présent. En ce sens, il jette un trouble dans la pérennité, comme il jette en trouble partout où il s’infiltre … pour mieux réarticuler. Toute la thèse tente en filigrane de déconstruire l’idée même de la « permanence », pour recomposer un monde où la métamorphose est reine ; et en architecture, il y a du travail.
Poursuivre la recherche, infléchir la pédagogie,
Implémenter les projet-processus performatifs dans le système
Les pistes de continuation et d’approfondissement de cette recherche sont multiples, et nous les avons déjà abordées tout au long du manuscrit. La thèse n’est en réalité qu’un début, une nouvelle origine, que nous avons à cœur de prolonger. Nous souhaitons partir à la rencontre de ces autres chercheurs qui travaillent à l’implémentation de l’urbanisme performatif dans les textes, nous voulons parler de sa nécessité dans des conférences et dans des articles, et nous allons aussi œuvrer pour dépasser les paroles et les écrits afin de pouvoir continuer à les penser en acte. Nous allons voyager pour développer l’embryon du réseau international Choreography+Urbanism, pour rencontrer d’autres personnes qui partagent la même envie d’explorer ce que peut le performatif, pour construire de nouvelles opportunités de collaborations nationales et internationales, à l’image du projet « trans-figurations.org », qui ne fait que commencer. Nous allons poursuivre les amitiés professionnelles et humaines que le doctorat a ouvertes et transmettre ces connaissances et ces compétences aux jeunes générations, en multipliant les workshops expérimentaux et en enseignant, de manière moins précaire, nous l’espérons. La thèse est une source de savoir et de savoirs-faire, qui peut largement être dépliée dans le cadre de programmes de cours théoriques tout comme dans l’enseignement du projet. Nous avons déjà pu expérimenter cela à Cal Poly Pomona et les résultats sont prometteurs. Le travail du corpus des pratiques d’héritages du performatif n’est pas fait, lui non plus, pour rester dans la thèse ; il est fait pour être transmis, déconstruit, recomposé, élargi, pour augmenter le spectre des possibles en matière d’intervention architecturale, urbaine et paysagère ; pour ouvrir le regard et la culture des étudiants autour de l’histoire et du prolongement nécessaire de cette relation art-urbanisme aujourd’hui. En projet, la continuité est également évidente. Nous l’avons dit à l’origine, et nous le répétons à nouveau, cette thèse n’est pas faite pour rester dans les livres, mais pour s’accomplir dans la pratique opérationnelle, pour continuer de flirter avec les résistances, pour augmenter les marges de manœuvre et « faire place » à d’autres manières de penser-faire la ville. Pour répondre à Nicola Delon, ce n’est pas seulement les lieux qu’il nous faudrait considérer comme « in-finis », mais également les pratiques conduisant leurs transformations, qui devraient faire l’objet d’infinis renouvellements. L’hypothèse du performatif n’est alors pas prescriptive, elle cherche simplement à construire les cadres d’émergences pour que cet « infini » puisse advenir.
Une invitation à poursuivre et à être prolongé
Finalement, cette thèse pose et formalise presque autant de problèmes qu’elle n’en dégage de solutions, bien qu’elle ouvre le champ et les perspectives d’actions. Comme nous l’avons dit, ces solutions semblent idéales dans le monde des idées, mais leur implémentation dans le réel ne peut être que partielle aujourd’hui, tant les verrouillages de l’institution sont infiltrés partout. Le système est encore trop chargé de résistances qu’il nous faut parvenir à contourner, pour continuer d’ouvrir des chemins collectifs de bifurcations. Cette mission est le propre de l’urbanisme performatif et c’est alors un défi de tous les instants, qui ne doit pas s’arrêter avec cette thèse ! Nous encourageons alors tout un chacun à rejoindre la lutte, afin d’élargir le spectre des possibles, pour construire ensemble ces marges de manœuvre essentielles, pour sortir de l’asphyxie et parvenir à l’esquisse de ce monde désirable que nous appelions de nos vœux dans l’avant-propos.